Séparation Finale


Mais voilà, ma maladie est chronique. Je ne guéris jamais complètement. Au mieux, j’ai des périodes de rémission. Et si j’ai beaucoup, beaucoup de difficulté à plonger dans mon passé pour aller voir ce qui s’y est réellement passé, il y a longtemps, avec mon père, mon frère, dans un petit lit, la nuit, ou dans une cuisine obscure, chemin obligé pour me rendre, jamais seul, faire pipi, cet ancien temps, lui, ressurgit dans le réel dès qu’il le peut, dès qu’il s’y reconnaît et peut revivre, à nouveau, même un très court instant, comme un flash-back; il menace et m’obsède à longueur de jour, formalise mes émotions, freine mes envies, imprègne comme un linceul les formes et la chaleur, la beauté et l’attrait de qui j’aime. Jusqu’à maintenant, c’était LeChum. Et voilà que nous nous quittons, que je le quitte, mais qu’il veut, lui aussi, prendre la fuite, en douce. On ne se dit rien. On se devine et se comprend.

Presque en silence, au moment où nos routes, comme on dit, se séparent, nous nous souhaitons bonne chance, à peu près sans reproche. Nous faisons face à nos défis. Mais, sans se compter d'histoire, tout cela n’est qu’une triste défaite, et ça restera une défaite. D’impulsion, nous croyons faire un saut en arrière, un retrait stratégique, destiné à prolonger l’espoir de la vie éternelle, et à nous conserver intacts, encore capables de tout espérer et de tout recommencer. Une rupture, je crois, s’illusionne toujours du fantasme d’être féconde. Elle s’abreuve de toxines. Elle flirte avec la mort. LeChum est un garçon impeccable, un homme fondamentalement bon. Je suis, aussi, je crois, une assez bonne personne. Sur le bord de la mer, au lac, ailleurs qu’avec nous-mêmes, nous arrivions, heureusement, à n’être qu’au temps présent. Sinon, malgré des efforts de conscientisation répétée, et des regrets aussi amers qu’inutiles, nous n’étions que nous-mêmes. Cela a fini par nous emporter.

Séparation


Je vivrai donc, désormais, ma vie en solitaire, pas trop misanthrope, je le souhaite. La réclusion est un système de défense que je connais si bien, depuis si longtemps, depuis en fait l’époque où ma sœur aînée, dans un rêve, me prédisait que je vivrais seul toute ma vie, et que je devrais me marier un jour avec moi-même parce que personne ne voudrait de moi: j’étais un petit enfant, de six ou sept ans. C’était là un rêve particulièrement douloureux, qui peut me faire encore pleurer. Je vivrai donc, désormais, ma vie en solitaire, et je n’écrirais rien, ici, de ce qui concerne ma vie affective, et singulièrement ma vie de couple qui s’efface, si ça ne rejoignait, ça aussi, et d’une manière certaine, ce qui pose problème dans ma vie et parfois la détruit. La rage et la colère m’habitent, depuis toujours, depuis que je sais serrer les dents, et parfois les briser, tant la colère contenue cherche à s’émanciper, à éclater. 

Mes muscles sont durs, contraignent le corps à ne pas exploser, à ne pas éparpiller l’automate que je suis, souvent, en mille morceaux. Je me sens mal, toujours, j’ai peur, toujours, je l’ai écrit cent fois sur ce blogue. La colère est pourtant vitale. Dommage qu’elle soit si mal tolérée. La peur est essentielle. Et pourtant, elle est à faire pitié. Je cherche alors à rester seul, souvent, sans que cette solitude ne m’apaise, d’ailleurs, bien au contraire: tout est laissé à l’abandon dès que je m’isole, et moi, l’insomniaque chronique, je dors en plein jour, pour faire passer le temps, m’éviter de sortir et de fréquenter les autres, le danger, le rejet, l’horreur possible, alors que, paradoxalement, j’espère guérir en dormant tout le temps.